Indemnisation des victimes de médicaments : état des lieux et recommandations (rapport)

A l’issu du Colloque à l’Assemblée Nationale, les associations de victimes de médicaments ont rendu publique le rapport sur l’indemnisation des victimes de médicaments, qui dresse un état des lieux (peu reluisant) et émet des recommandations pour améliorer la situation des victimes.

Résumé

  • En Europe, les victimes d’effets indésirables graves de médicaments qui souhaitent obtenir réparation des préjudices subis sont confrontées à un parcours d’épreuves plus insurmontables les unes que les autres.
  • Afin d’obtenir réparation, les victimes doivent :
    • agir avant que leur action ne soit plus recevable ;
    • démontrer le lien de causalité entre une prise de médicament et la survenue de l’effet indésirable à l’origine du dommage (alias imputabilité) ;
    • rechercher une responsabilité.
  • Depuis l’application d’une directive européenne de 1985 relative aux produits défectueux (transposée en France en 1998), les firmes pharmaceutiques n’ont plus d’obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients. En l’absence de faute ou quand le produit est considéré comme non défectueux (l’effet indésirable figurait dans la notice), ce qui représente la grande majorité des cas, les firmes ne sont pas considérées comme responsables.
  • En pratique, dans les États membres de l’Union européenne qui ont mis en place une procédure de règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, dont la France fait partie, deux voies d’action sont possibles pour les victimes :
    • Si la responsabilité d’une firme ou d’un professionnel de santé est engagée, la victime pourra engager soit une procédure contentieuse devant les tribunaux, celle-ci étant souvent longue, coûteuse et éprouvante ; soit une procédure « amiable » devant le mécanisme d’indemnisation national ;
    • En l’absence de responsabilité pour faute ou lorsque la responsabilité d’un producteur d’un produit de santé à l’origine d’un dommage ne peut pas être engagée (produit non défectueux, exonération par le risque de développement, prescription de l’action), alors la victime pourra se tourner vers le mécanisme d’indemnisation national et la solidarité nationale, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) peut être amenée à indemniser la victime en France.
  • Le système français d’indemnisation amiable par l’ONIAM, mis en place par la loi Kouchner de 2002 relative aux « droits des malades », a été une avancée importante pour les victimes d’infections nosocomiales et d’accidents médicaux hors affection iatrogène.
  • Cependant, il n’est pas adapté aux victimes d’effets indésirables graves de médicaments (alias aléas thérapeutiques) qui ont notamment les plus grandes difficultés à :
    • démontrer l’imputabilité du médicament dans la survenue d’un effet indésirable, avec de très grandes variations d’interprétation entre les Commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) et selon les rapports d’expertise établis;
    • démontrer l’atteinte du seuil de gravité élevé requis pour être indemnisé.
    • De plus, la date d’administration du traitement en cause, qui doit être postérieure au 4 septembre 2001, exclut arbitrairement de nombreuses victimes.
  • Une meilleure reconnaissance des victimes de médicaments contribuerait pourtant à davantage responsabiliser l’ensemble des acteurs de santé (notamment les firmes pharmaceutiques, les soignants, et les autorités sanitaires), et par conséquent à une amélioration de la qualité des soins.
  • Après avoir présenté l’état des lieux de la situation des victimes d’effets indésirables graves de médicaments, cette note de synthèse s’intéresse aux moyens d’améliorer la situation des victimes.
  • Nos recommandations concrètes s’organisent en 2 objectifs :
    • améliorer la reconnaissance et l’indemnisation des victimes ;
    • prévenir la survenue d’effets indésirables médicamenteux.
  • En France, dans le cadre de la loi de santé publique en discussion en 2015, la modification de quelques dispositions du Code de la santé publique permettrait de prolonger et compléter les avancées accomplies en matière d’indemnisation des usagers du système de santé par la loi du 4 mars 2002 :
    • les actions de groupe en santé rendraient la voie contentieuse plus accessible aux victimes ;
    • tandis que la création d’un fonds d’indemnisation « produit de santé » spécifique, notamment financé par les firmes pharmaceutiques et dont la gestion serait confiée à l’ONIAM, permettrait aux victimes d’effets indésirables graves de médicaments d’être indemnisées de leurs préjudices en l’absence de responsabilité du producteur. Cette option a déjà été retenue dans plusieurs pays, dont le Japon et Taïwan, et est compatible avec la réglementation européenne (pas de modification de fond du droit de la responsabilité).

Télécharger le rapport 20150222_rapport_indemnisation_victime1.0_COMPLET_FINAL

Plaidoyer pour les gueules cassées du médicament

RGDM42coverUn article co-écrit par Laurent Bloch (Institut du Droit de la Santé Bordeaux IV) et Sophie Le Pallec (AMALYSTE) sur les difficultés rencontrées par les victimes d’effets indésirables des médicaments est paru dans l’édition de mars 2012 de la Revue Générale du Droit Médical.

 

L’actuelle législation en matière de responsabilité du fait des défauts des médicaments conduit à accorder une quasi-immunité aux laboratoires. Les victimes d’accidents médicamenteux rares se heurtent en effet à de nombreux obstacles pour faire valoir leur droit, notamment en terme probatoire. Conscient des carences du dispositif actuel, le législateur a multiplié les régimes spéciaux en transférant à la solidarité nationale la dette de responsabilité des laboratoires : vaccinations obligatoires, hormone de croissance, benfluorex… Il serait bien plus satisfaisant de repenser globalement le dispositif d’indemnisation plutôt que de multiplier les lois de réactions indexées sur le pouls des médias. Fin 2011, des associations de victimes d’accidents médicaux ont fédéré leurs efforts pour convaincre le législateur de cette nécessité. Elles demandaient la fin de l’exonération par le risque de développement, la création d’une présomption d’imputabilité, la création d’une action de groupe ad hoc et la création d’un fonds abondé par les laboratoires. En l’état, aucune de ces propositions n’a été accepté.

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Sommaire

I.            L’immunité des laboratoires.           

A.            La preuve de l’imputabilité du dommage au défaut.                 

B.            La preuve de la défectuosité du médicament.                 

C.            Le délai de forclusion.                 

D.            Le délai de prescription.                 

E.            L’exonération par le risque de développement.                  

II.            L’indifférence de l’ONIAM.            

A.            Un débiteur à compter du 5 septembre 2001.                  

B.            Un débiteur à la compétence restreinte.                  

C.            Un débiteur peu solidaire.                  

III.            Le silence du législateur.            

A.            L’impasse de 2002.                  

B.            La reculade de 2011.                   

Notre analyse :

L’article fait le point sur les inégalités en matière de droit applicable aux victimes d’accidents médicamenteux depuis l’adoption de la directive 85/374/CEE sur la responsabilité du fait des produits défectueux, en particulier pour les victimes d’accidents antérieurs à 2001, qui ne bénéficie d’aucun mécanisme d’indemnistion ex-judiciaire et qui se sont vu spoliés du jour au lendemain de leur capacité à agir en justice par l’extinction soudaine de leur délai de prescription.

En effet, alors que la plupart des victimes d’accidents corporels bénéficient d’un délai de prescription de 10 ans après consolidation des dommages, les victimes de médicamants n’ont que 3 ans pour se retourner contre le producteur. Ce dernier bénéficie, en outre, d’une extinction de sa responsabilité 10 ans après la mise en circulation du produit ainsi que d’une exonération de responsabilité, s’il peut prouver que le risque n’était pas connu au moment de la mise sur le marche du médicament incriminé. Autant dire que la victime n’a plus guère de chance de pouvoir légitimer un quelconque recours.

Quant aux victimes d’accidents survenus après le 5 septembre 2001, même si elles doivent en principe pouvoir accéder au fonds d’indemnisation de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), les conditions drastiques d’accès, peu adaptées aux spécificités des accidents médicamenteux les en privent en pratique du bénéfice. Ainsi, alors que la prévalence est comparables à celle des accidents nosocomiaux, les accidents médicamenteux ne représentent que 2% des dossiers traités pas l’ONIAM. La charge de la preuve en matière d’imputabilité ainsi que le seuil de dommage minimal de 24% sont les principaux philtres d’accès.

Les associations de victimes regroupées au sein du CLAIM ont tenté sans succès de faire évoluer le droit en matière d’indemnisation des victimes lors des débats sur la loi sur la sécurité sanitaire du médicament en 2011 au Parlement.

Droit des malades : Delphine, victime de médicaments

De nombreuses manifestations dans toute la France commémorent ce mois-ci les 10 ans de la Loi du 4 mars 2002, souvent présentée comme une avancée sociale majeure pour les patients. Mais tout le monde n’a pas le cœur à fêter l’anniversaire de la Loi Kouchner. Les victimes témoignent, au travers des associations. Télécharger le communiqué de presse

En novembre dernier, Delphine, 37 ans, a perdu en appel dans le procès qu’elle a intenté contre deux laboratoires et son médecin. Elle doit aujourd’hui prendre en charge les frais des parties adverses, ainsi que les siens, pour un total d’environ 10 000 euros.

Victime d’un syndrome de Lyell*, une réaction médicamenteuse cutanée gravissime qui l’a laissée aveugle en 1981, à l’âge de 6 ans, Delphine bénéficie alors d’un délai de prescription de 30 ans pour demander réparation. Entre temps, la loi Kouchner, tout en créant un fonds d’indemnisation pour les victimes d’accidents médicaux survenus après septembre 2001, réduit leur délai de prescription pour demander réparation à 10 ans et laisse se mettre en place un amalgame terrible sur les délais s’appliquant aux victimes d’accidents médicamenteux antérieurs à 2001. Delphine vient ainsi d’être déboutée au motif d’un délai prescrit et doit maintenant se battre, malgré son handicap, avec un mari à l’hôpital et deux enfant à charge, contre le surendettement. Pour elle, la « Loi sur le droit des malades » est synonyme d’une perte de droit et d’une aggravation dramatique de sa situation.

Des centaines d’autres victimes de médicaments sont, comme elle, privées du bénéfice de la solidarité nationale, parce que leur accident est survenu avant le 4 septembre 2001, date rétroactive maximale autorisée pour accéder au processus d’indemnisation mis en place par la loi du 4 mars 2002. Parallèlement, la loi du 19 Mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, votée quatre ans plus tôt par les mêmes parlementaires, s’applique, elle, sans limite de rétroactivité et a spolié de leur droits antérieurs toutes ces victimes, en réduisant notamment à trois ans le délai de prescription pour faire jouer la responsabilité d’un fabricant de médicament. Parce qu’elles sont victimes d’accidents médicamenteux gravissimes mais (heureusement ?) rares, qui n’ont pas l’honneur, comme pour le Mediator, de faire la une des médias, Delphine et les autres ne bénéficient plus d’aucun recours pour être indemnisées.

Au lendemain du scandale du Médiator qui a laissé de larges zones d’ombres sur la sécurité sanitaire en France, la FNATH et Amalyste appellent de leurs vœux une meilleure prise en compte des victimes encore trop nombreuses aujourd’hui. Et tout particulièrement pour les victimes d’avant 2001. Pour elles, la question est désormais de savoir si nos politiques auront le courage de réparer cette injustice.

QUI SOMMES-NOUS ?

La FNATH, association des accidentés de la vie, a été créée en 1921 pour défendre les droits des victimes d’accidents au travail. Elle est aujourd’hui l’association de défense de tous les accidentés de la vie, des malades, invalides et handicapés. Forte de près de 200.000 adhérents et de leur solidarité, l’association lutte au quotidien pour améliorer la vie des accidentés, des handicapés, des malades, et pour qu’ils soient reconnus et traités en citoyens à part entière.

La FNATH est une association à but non lucratif, indépendante de tous les pouvoirs. Elle est reconnue d’utilité publique.

www.fnath.org

AMALYSTE est l’association des victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson. Ces syndromes sont des réactions indésirables gravissimes aux medicaments. iIs sont le plus souvent connus et acceptés en raison de leur extrême rareté. Parce que ce risque est accepté au titre d’une balance bénéfices-risques estimée positive, les victimes ne peuvent que rarement accéder à l’indemnisation. En tant que maladie rare, la prise en charge est à ce jour encore balbutiante. AMALYSTE a pour objet de questionner les pouvoirs publics, l’industrie pharmaceutique, le corps médical et le grand public sur la responsabilité liée au risque connu et accepté d’accidents médicamenteux rares et graves.

www.amalyste.fr

* Les syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson sont des réactions graves (30 % de décès) qui provoquent un décollement brutal et parfois étendu de la peau et des muqueuses. 90% des cas sont des réactions médicamenteuses. Une douzaine de molécules à risque élevé a été identifiée (antibiotiques, anti inflammatoires, anti épileptiques, allopurinol, névirapine).

C’est une maladie orpheline : 150 cas par an en France, un millier dans l’Union européenne.

C’est également une maladie chronique : 95 % des survivants gardent des séquelles invalidantes et évolutives, qui bouleversent leur vie.