Médiator : la Justice, pour que le scandale ait été utile (Rue89)

La FNATH, AMALYSTE et M. Jean-Pierre Sueur, Sénateur du LOiret, ont publié une tribune commune dans Rue89.

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Les pouvoirs publics cherchent à nous convaincre, pour couper court à toute réforme d’envergure, que le scandale du Mediator serait le premier d’une telle ampleur. Ne nous laissons pas abuser, depuis de longues années, les scandales sanitaires se succèdent : ThalidomideDistilbène, Mediator… A chaque crise particulière, notre société tente, au mieux, d’apporter une réponse spécifique. Au pire, de l’oublier.

Du précédent dans les scandales sanitaires

Le traitement sans cohérence des drames sanitaires conduit à une injustice et à une discrimination majeure. La surmédiatisation de l’affaire Mediator est à la mesure du silence que les autres victimes doivent supporter. On ne peut accepter le déni actuel à l’endroit, entre autres, des victimes du Distilbène, alors que cette histoire exemplaire est aujourd’hui enseignée comme « modèle » des erreurs à ne pas commettre.

Ce produit, administré en masse aux femmes enceintes jusque dans les années 1980 (1977 en France), a la particularité perverse de toucher non seulement les consommatrices, mais essentiellement leurs enfants, voire leurs petits-enfants.

Évoquons également les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson, réactions rares aux médicaments, provoquant des atteintes gravissimes sur la peau et les muqueuses. Il est inconcevable que toutes ces victimes doivent – parce que leur pathologie est due à un autre médicament – être les « oubliées » de l’indemnisation.

Victimes : le parcours du combattant

Sans avoir d’autre choix, toutes les victimes ont à supporter, à leurs frais et dans le silence des médias, des années de procédure individuelle, d’expertises et de contre-expertises pour espérer obtenir enfin une reconnaissance de responsabilité et une réparation de leur préjudice. Au bout du chemin, certaines découvrent que parce que le risque était signalé dans la notice, elles n’ont aucun recours légal. Et se voient déboutées.

Pourtant, comme pour le Mediator, les effets indésirables été démontrés. Les dommages irrémédiables causés à leur santé sont le fruit de médicaments ou de dispositifs qui ont été validés par les autorités administratives et politiques, et financés par la collectivité. Le médicament constitue un progrès indéniable pour notre société, et l’industrie pharmaceutique contribue à la richesse nationale, mais la gravité de certains effets dit « secondaires » est à la mesure des avantages procurés.

Une « mutualisation » du risque serait logique

Aujourd’hui, pourquoi ne pas utiliser le scandale du Mediator pour obtenir une réponse générale permettant l’émergence d’un principe de responsabilité globale fondée sur le risque lié à la prise d’un médicament ? Le gouvernement doit se saisir de cette affaire comme d’un levier pour progresser vers une réponse sociale définitive à un risque collectif avéré.

Le profit tiré de la commercialisation d’un médicament est assuré par la solvabilité qu’apportent aux laboratoires pharmaceutiques les remboursements de la Sécurité sociale, laquelle est financée par l’ensemble des contribuables et assurés sociaux. Il ne serait donc pas choquant que, comme pour les risques professionnels, le coût d’indemnisation des victimes soit automatiquement supporté par les entreprises à l’origine de la création du risque. La mutualisation d’un risque collectif, supportée par les laboratoires pharmaceutiques qui en sont à l’origine, présenterait un double avantage : garantir aux victimes une indemnisation rapide, mais aussi, inciter ces entreprises à promouvoir une politique de prévention.

L’effet dissuasif des « class action »

Le scandale du Mediator devrait être également l’occasion de donner aux victimes les moyens de se défendre en permettant des actions judiciaires collectives. L’absence de procédure collective (« class action ») rend le combat bien inégal. Alors que les victimes des scandales sanitaires n’attendent que cela, pourquoi avoir totalement évacué ce sujet des Assises du Médicament ? S’il est sûrement intéressant de réfléchir des heures à la charte de déontologie des visiteurs médicaux ou à la formation continue des médecins, l’effet d’autorégulation induit par l’épée de Damoclès que représentent les « class action » pour un laboratoire pharmaceutique serait, lui, immédiat.

Le choix reste maintenant ouvert : soit notre société apporte une réponse définitive à la responsabilité des médicaments, soit nous reverrons dans quelques années, voire quelques mois, émerger un nouveau scandale sanitaire. Victimes et citoyens, nous attendons une réaction d’envergure et une solution véritablement politique. Sans quoi le Mediator n’aura été qu’un scandale de plus.

Avec Sophie Le Pallec, présidente de l’association Amalyste, Anne Levadou, présidente de l’association Réseau D.E.S. France, Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret.

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Mission Médiator du Sénat : AMALYSTE auditionnée

AMALYSTE a été auditionnée le 6 avril 2011 par la Mission d’Information du Sénat sur le médiator, présidée par M. le sénateur François Autain et dont le rapporteur est Mme la sénatrice Marie-Thérèse Hermange.

AMALYSTE a fait valoir les difficultés rencontrées :

1) par les associations de victimes pour faire prendre en compte par l’AFSSAPS le risque lié au médicament remontée par l’association (ex : lamotrigine, allopurinol…) et

2) par les victimes elles-mêmes, pour être prises en charge et être indemnisées.

 

 Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur : « Mediator : évaluation et contrôle des médicaments » – Tome II : Auditions

Compte-rendu de la Mission

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M. François Autain, président. – Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.

Je vous donnerai la parole à tour de rôle et nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions.

Je cède la parole à Mme Sophie Le Pallec.

Mme Sophie Le Pallec. – Je vous remercie, monsieur le Président, de nous donner l’occasion d’exprimer notre point de vue et de faire connaître l’association Amalyste.

Nous représentons les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson. Ces maladies sont des réactions très graves qui se traduisent par un décollement brutal de la peau et des muqueuses, ce décollement pouvant être très étendu. La victime doit impérativement être prise en charge dans une unité spécialisée. La douleur est extrême et il y a 30 % de décès. 90 % des cas sont dus à des réactions médicamenteuses ; certains peuvent être liés à une infection à mycoplasmes. Une douzaine de molécules ont été identifiées ce jour comme étant à risque élevé de syndrome de Lyell parmi lesquelles les sulfamides anti-infectieux, certains anti-inflammatoires, certains anti-épileptiques, l’allopurinol et la névirapine. D’autres médicaments sont impliqués mais ne présentent pas un risque aussi élevé.

Cette maladie est orpheline, avec 150 cas par an en France et un millier dans l’Union européenne. Il s’agit également d’une maladie chronique puisque 95 % des survivants gardent des séquelles invalidantes et évolutives. Nous avons eu du mal à démontrer que les personnes ne s’en sortaient pas indemnes. L’identification du médicament est très difficile du fait de l’effet retard entre la prise et la réaction. Les moyens donnés à la recherche sont très insuffisants tout comme la prise en charge des séquelles, sauf pour les séquelles oculaires. De nombreux traitements ne sont pas pris en charge s’ils concernent la peau, les yeux ou les dents. En 2003, un dispositif innovant est apparu : il permettait de changer radicalement la vie des malades et les victimes ont dû payer pour mener l’étude afin de prouver les bénéfices d’un dispositif et d’obtenir la prise en charge par rapport à la sécurité sociale.

Ce qui caractérise ces réactions, par rapport au Mediator, c’est que le risque est souvent accepté, sans retombées médiatiques, alors qu’il y a autant, voire plus de victimes, que pour le Mediator. Sur les quatre dernières années, il y a eu entre 450 et 500 victimes, 150 décès. Sur les trente-trois dernières années, il y a eu entre 3 500 et 4 000 victimes et environ 1 000 ou 1 200 morts en France.

Amalyste a été créée en 2002 et est agréée depuis 2007 : nous sommes une association de patients et de victimes. Nous luttons pour une meilleure prise en charge, pour la recherche et pour l’indemnisation. Nos partenaires sont le Centre national des maladies rares, situé à Henri Mondor à Créteil, qui a de nombreux centres affiliés en régions ainsi qu’un registre européen dont le copilote est situé en France. Nous essayons d’amener une vision d’ensemble sur la gestion du risque. Nous aurions souhaité que cette gestion globale du risque puisse intégrer en amont l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et en aval l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Une gestion correcte du risque devrait effectivement intégrer toute cette chaîne, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je souhaite aborder deux thèmes liés à l’évaluation et au contrôle du médicament, mais aussi à notre expérience d’association de victimes.

La surveillance du risque et le système de pharmacovigilance ne reposent pas sur un système d’information décisionnel. Le système d’information de la pharmacovigilance consiste en effet à comptabiliser, en entrée, l’organisation des risques et les effets indésirables des médicaments, notamment à travers la notification spontanée, mais il n’est pas, en sortie, un véritable outil d’aide à la décision. Mettre en place un véritable outil d’aide à la décision constitue l’un des grands enjeux de la pharmacovigilance, avec celui de la sous-notification patente des effets indésirables. Le système actuel ne permet pas d’automatiser le déclenchement des alertes lorsque le risque n’est plus acceptable. Pour déclencher une réévaluation, il faut soit attendre la fin du délai de surveillance des cinq ans, soit une décision du directeur de l’Afssaps. Ces deux procédures ne peuvent être efficaces. Le délai de cinq ans est, à notre sens, complètement artificiel : le critère pertinent pour mesurer le risque d’un médicament n’est pas le temps mais plutôt celui de la population exposée à la substance active pour la première fois. Cette population s’estime en fonction du niveau de risques qu’on cherche à détecter, en la majorant du taux de sous-notification des médicaments. Pour détecter un risque d’1 sur 10 000 nouveaux utilisateurs et qu’on suspecte que ce risque n’est notifié qu’une fois sur deux, comme c’est le cas pour le Lyell, la population pertinente est alors de 20 000 personnes. La décision du directeur de l’Afssaps n’est pas très efficace : quand on a un portefeuille de 5 000 molécules, il faut disposer d’un système d’aide à la décision pour générer automatiquement des alertes. A notre sens, il manque, en amont de la procédure pour générer les alertes, la fixation d’un niveau de risque attendu et d’un seuil maximum d’acceptabilité du risque, quand on accepte un risque et autorise la mise sur le marché du médicament. Pour les médicaments causant du Lyell, nous n’avons pas de visibilité sur le niveau de risque qui n’est plus acceptable et induirait une réaction de l’Afssaps. En 2001, l’Afssaps a suspendu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des sédatifs légers qui contenaient du phénobarbital au motif que ces médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant et qu’ils avaient provoqué, sur douze ans, une douzaine de cas de Lyell. En cinquante ans, ce médicament avait sûrement provoqué cent cas de Lyell : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour retirer un tel médicament ? En 2005, l’Afssaps a ordonné le retrait des immunostimulants au motif d’un SMR insuffisant et d’effets indésirables (type crises d’asthme, purpura, oedèmes du visage et d’un cas douteux de Lyell). La victime de ce syndrome de Lyell a toutefois été déboutée quand elle a été devant l’Oniam pour obtenir une indemnisation, au prétexte que son cas était douteux. Le doute profite donc toujours à l’administration qui s’en prévaut pour retirer une AMM, mais aussi pour refuser une indemnisation. Aujourd’hui, nous avons un problème avec la lamotrigine, anti-convulsant, et l’allopurinol. La lamotrigine a été mis sur le marché en 1995 : après la fin de la période de surveillance, dans les années 2000, les ventes ont explosé, ainsi que le nombre de victimes. Malgré cela, l’indication a été étendue aux maladies bipolaires, sans plan de gestion de risque, alors que ce médicament est le second pourvoyeur de Lyell en Europe. L’allopurinol est un médicament contre la goutte qui a un problème de mésusage puisqu’il est prescrit deux fois plus que la prévalence connue de la goutte et est le premier pourvoyeur de Lyell.

M. François Autain, président. – Ce médicament figure-t-il dans la liste des soixante-seize médicaments sous surveillance ?

Mme Sophie Le Pallec. – Non. Et nous n’avons pas de visibilité sur le niveau maximum de risque acceptable qui permettrait de construire un système d’information pertinent.

Pour ce qui est du problème de l’indemnisation, Amalyste pense que l’Oniam devient une compilation de fonds spécifiques, créés au gré des diverses crises sanitaires : il existe ainsi le fonds d’indemnisation des victimes HIV-hépatite C par transfusion, le fonds d’indemnisation des victimes de la vaccination obligatoire… On parle maintenant de créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes du Mediator. Le risque est que, dans vingt ans, l’Oniam ne soit plus qu’un chapelet de fonds d’indemnisation que personne ne comprendra. Nous pensons qu’il faut sortir de cette impasse par le haut, que les crises sanitaires ne doivent pas conduire à ce que les victimes dont les maladies ont les honneurs de la presse soient mieux traitées que les autres victimes des médicaments mais, au contraire, que ce scandale soit l’occasion pour les politiques de mettre en oeuvre une gestion global du risque médicamenteux. Le médicament est un produit à risque. Le modèle qui préside à son acceptabilité pose toutefois problème : il est encadré par la notion de balance bénéfices-risques et légitime l’idée qu’on puisse sacrifier une minorité pour le bien-être du plus grand nombre. Si cette position est défendable, nous n’acceptons pas que cette inégalité ne soit pas réparée dès le début et qu’on ne pose pas le principe que le risque doit être indemnisé. Si un médicament apporte un progrès social au plus grand nombre, il convient toutefois que les quelques personnes qui subissent des effets indésirables très graves bénéficient d’une réparation, ce qui n’a pas été pensé par le régulateur à l’origine.

M. François Autain, président. – Il semblerait en outre que ce risque ne soit presque jamais indemnisé.

Mme Sophie Le Pallec. – Le risque n’est pas pensé comme un risque assurable et indemnisable. Depuis 1988, date où la directive sur les produits défectueux aurait dû être transposée en France, le juge considère que, si le risque figure dans la notice, le risque est légitime et ne donne pas lieu à indemnisation. Il n’existe alors plus d’obligation de sécurité absolue mais seulement relative ; la notice devient un parapluie juridique pour les laboratoires qui sont complètement déresponsabilisés de la faute, mais aussi du risque. Les victimes entre 1988 et 2001 n’ont aucune possibilité de recours.

L’Oniam ne résout pas le problème des accidents médicamenteux, qui ne représentent que 2 % des dossiers. Certaines problématiques ont été résolues, avec la création de la notion de la solidarité nationale, mais l’Oniam n’a pas résolu le problème de la charge de la preuve. L’imputabilité d’une réaction à un principe actif ne peut être démontrée sur le plan individuel mais c’est pourtant ce qui est demandé aux victimes. Quand on autorise la mise sur le marché d’un médicament, on doit prouver le bénéfice et le risque sur un plan statistique. Il faut donc accepter les démonstrations sur le plan statistique, ce qui n’est pas évident : nous pouvons faire ressortir des niveaux de risques élevés mais ne pouvons démontrer le risque pour les molécules à risques moins élevés.

Nous avons des propositions simples.

M. François Autain, président. – Vous m’avez effectivement fait parvenir un document récapitulant vos propositions que nous mettrons à disposition de la mission.

Mme Sophie Le Pallec. – Le risque d’effet indésirable, surtout lorsqu’il est spécifié dans la notice, doit être assuré : il doit y avoir une obligation d’assurance pour le producteur, quelle que soit la forme d’assurance choisie. Le coût du risque doit être intégré dans le coût du médicament : comme il sera répercuté sur le payeur final, la sécurité sociale, cette proposition ne changera pas tellement le modèle économique des laboratoires pharmaceutiques tout en apportant une réponse à un problème sociétal.Le fait que le risque soit mentionné dans la notice doit constituer une présomption de preuve pour la victime. Cette mention doit se traduire, pour le producteur, par une obligation de mettre en place un vrai plan de gestion des risques.

M. François Autain, président. – Merci.

Médiator: débats sur l’indemnisation des risques médicamenteux (L’Humanité)

L’humanité retranscrit une partie des débats qui ont eu lieu lors des auditions des associations de patients et victimes par la mission d’information parlementaire de l’Assemblée Nationale sur le Médiator. Accéder à l’article

La mission d’information parlementaire sur le Médiator, présidée par le député PS Gérard Bapt, auditionnait ce jeudi matin les représentants d’associations de victimes et de patients. Les propositions ont afflué pour instaurer une véritable politique publique en matière de gestion des risques médicamenteux.

A l’heure où le bras de fer s’intensifie entre Xavier Bertrand et Jacques Servier pour savoir qui, de l’Etat ou des laboratoires, paiera la note salée des indemnisations à verser aux victimes du Médiator, les associations de victimes sont montées au créneau, hier matin, pour élever le débat. La création d’un fonds d’indemnisation soulève en effet une question plus large, celle de la prise en charge inconditionnelles des accidentés du médicament.

  • Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath, association des accidentés de la vie, a tenu à souligner les paradoxes des dernières propositions du groupe Servier, relayées en début de semaine par le ministre de la Santé.

Pour lui, le système à deux vitesses qui viserait à segmenter les victimes en plusieurs catégories, n’a aucun sens. «  On ne doit pas oublier que la création d’un fonds d’indemnisation des victimes a deux objectifs principaux : la rapidité et le fait d’éviter les contentieux de masse. Or si l’on refuse l’idée d’un fonds unique, quel que soit le taux d’incapacité de la victime ou la nature des préjudices subis, comme c’est le cas aujourd’hui, on va droit dans le mur, car les victimes préfèreront se tourner vers la justice pour toucher des indemnités convenables. Dans l’affaire de l’amiante, le préjudice d’anxiété a pourtant été reconnu. Pourquoi pas dans le cadre du Médiator ? »

  • Une position partagée par Sophie Le Pallec, représentante de l’association des malades des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson.

Son association travaille depuis des années à l’instauration d’une politique globale de gestion des risques. «Lorsqu’on décide de mettre un médicament sur le marché, on accepte l’idée de sacrifier une minorité au profit de l’intérêt collectif. Cette idée de balance bénéfices-risques est tout à fait acceptable, mais à condition de prendre en charge les victimes de ce pari. Il faut assurer derrière un vrai suivi médical des séquelles et une indemnisation intégrale. Actuellement, cette réparation devrait être assurée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), mais le fonds est complètement verrouillé pour tout ce qui relève des accidents médicamenteux. L’Oniam a résolu une partie des problèmes, mais pas la charge de la preuve, qui fait que c’est toujours à la victime de démontrer le lien de causalité entre la molécule et sa pathologie, ce qui relève de l’impossible.»

Selon Sophie Le Pallec, le coût du risque pourrait être intégré au prix du médicament. Une suggestion qui a suscité le plus vif intérêt des membres de la mission parlementaire, notamment de son président Gérard Bapt, qui a tenu à rappeler qu’un tel dispositif  existait déjà dans le cadre de la sclérose en plaques provoquée par le vaccin contre l’hépatite B, même s’il restait isolé. D’autres députés ont toutefois émis des objections quant à la systématisation des indemnisations, arguant qu’on ne pouvait pas considérer comme un cas grave « une personne qui saigne du nez parce qu’elle a pris de l’aspirine, alors que cet effet secondaire est mentionné sur la notice ». Un argument aussitôt taclé par Georges-Alexandre Imbert, président de l’Association d’aide aux victimes des accidents de médicament. « Les notices ne sont en aucun cas des contrats signés. Ce n’est pas parce qu’elles informent des effets secondaires qu’elles exemptent l’Etat ou l’industrie du médicament d’indemniser les victimes. »

  • Maître Karim Felissi, conseiller de la Fnath, s’est pour sa part chargé de contrer l’éternel argument de la « complexité » d’un dispositif d’assurance.

«  L’argument de la complexité a été sorti du placard à la moindre occasion depuis le début du XXème siècle, il n’est plus entendable aujourd’hui. Depuis 1985, la loi Badinter a posé le principe d’implication, qui évite de se retrouver bloqué lorsqu’aucun responsable n’est identifiable, par exemple lors d’un carambolage ou dans certains cas d’accidents du travail. Ce principe permet d’instaurer une assurance obligatoire qui permet de couvrir les victimes. C’est tout à fait possible dans le cadre du médicament, car c’est un risque social, qui concerne tout le monde. Segmenter les victimes n’est pas une solution. »

Flora Beillouin

Mission Médiator de l’Assemblée Nationale : AMALYSTE auditionnée

AMALYSTE a été auditionnée jeudi 31 Mars par la Mission d’Information de l’Assemblée Nationale sur le Médiator et la pharmacovigilance, présidée par M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Door en étant le rapporteur.

AMALYSTE a fait valoir les difficultés rencontrées par les victimes d’accidents médicamenteux dans leur ensemble pour accéder à l’indemnisation. Ainsi :

1) le signalement d’un risque dans la notice d’un médicament aboutit à la déresponsabilisation du producteur et interdit tout recours en justice pour les victimes d’avant 2001/

2) La charge de la preuve (imputabilité d’une réaction à une médicament donné) est disproportionnée et impossible à fournir par les victimes.

AMALYSTE a défendu le principe d’un fonds d’indemnisation spécifique à TOUTES LES VICTIMES d’accidents médicamenteux dont le risque a été signalé dans la notice. De plus, le signalement du risque dans la notice doit constituer pour les victimes d’une présomption forte de causalité.

Refonder la gestion du risque médicamenteux grave

A l’occasion de scandale du Mediator, AMALYSTE s’immisce dans le débat et propose de refonder la gestion du risque médicamenteux grave

L’affaire du Médiator remet en question la gestion du risque médicamenteux dans son ensemble. Il était temps : les accidents graves liés aux médicaments seraient la cause d’au moins 13 000 morts annuels, derniers chiffres admis officiellement par les autorités… en 2001.Les médicaments, que leurs risques soient connus ou non au moment de leur mise sur le marché, sont autorisés et maintenus sur le marché au nom du « rapport bénéfices-risques ». Ce concept, adopté par l’ensemble des acteurs (médecins, laboratoires, pouvoirs publics, régulateur…,) est LE sésame de la mise sur le marché d’un médicament et de son maintien.

Cette idée, séduisante sur le papier, s’est révélée insuffisante, voir scandaleusement inefficace dans le cas du Mediator. La raison de cet échec ne réside pas, de notre point de vue, dans le fondement de ce concept de « rapport bénéfice-risque », mais plutôt dans son application, qui n’a pas encore été pensée à la hauteur de l’enjeu, en termes scientifiques, éthiques et juridiques.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la dénomination de « rapport », l’appréciation du « rapport bénéfice-risques » ne repose sur aucun critère quantitatif. Ce n’est le plus souvent qu’une synthèse de tout un ensemble de jugements de valeur, flous, dépendants de l’appréciation d’experts tous issus d’un sérail commun. De ce fait, toute analyse scientifique a posteriori de l’évaluation est très difficile. En l’absence de critères standards et quantifiés, toute tentative pour fixer des limites au niveau de risque accepté, qui pourrait déclencher une vigilance accrue et une réévaluation du fameux « ratio » sur des bases objectives en cas de dépassement, est d’avance vouée à l’échec. Chaque nouvelle évaluation du médicament dépend donc de la bonne volonté des autorités, volonté souvent plus influencée par les tempêtes médiatiques ou le lobbying des firmes pharmaceutiques que par la raison pure.

Si le Code de Santé Publique s’appuie bien sur cette notion de « rapport entre les bénéfices et les risques », il se garde d’en définir les contours et se défausse sur l’Agence Française des Produits de Santé (AFSSAPS) pour sa mise en œuvre. Cette dernière n’intègre à ce jour aucune analyse et prise en charge extensive du risque. Si les morts l’intéressent parfois d’un point de vue statistique, ce que deviennent concrètement les survivants d’accidents médicamenteux graves n’est pas de son ressort. Qu’une partie d’entre eux puisse voir ses conditions de vie bouleversées, sans pouvoir accéder à aucune procédure d’indemnisation, encore moins.

Mais puisque la collectivité toute entière jouit, avec l’aval du législateur, du bénéfice des médicaments, peut-elle laisser quelques victimes supporter seules le poids du risque ? Comment compenser cette rupture implicite du contrat social engendrée par une telle disproportion au plan individuel, entre les bénéfices captés par les uns et les risques subis par les autres ?

Car derrière ce concept, c’est bien l’idée de sacrifice qui prédomine. Alors que le vingtième siècle a consacré la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques, les victimes d’accidents médicamenteux ne bénéficient toujours pas, à l’aube du vingt-et-unième siècle, d’une prise en charge dédiée. Cette responsabilité est supposée mise en œuvre chaque fois qu’un particulier est victime d’un dommage « anormal », c’est-à-dire présentant un caractère certain de gravité, et « spécial », c’est-à-dire résultant de situations ou de mesures par l’effet desquelles certains membres de la collectivité sont « sacrifiés » à l’intérêt général. Il est temps que cette responsabilité se traduise, pour les accidents médicamenteux graves, par une obligation de « réparation nationale » et non par cette « solidarité nationale » proche de l’aumône, définie par la Loi du 4 Mars 2002, mise en œuvre au travers de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) et à laquelle, de toute façon, peu de victimes peuvent accéder en pratique.

La prise de médicaments s’apparente encore aujourd’hui à une gigantesque « roulette russe ». Le concept de « rapport bénéfices-risques », qui sous-tend le système, aboutit à ce que la société et les laboratoires pharmaceutiques s’octroient une grande partie du bénéfice, tout en laissant à une poignée de victimes la charge de gérer seule les risques.

Qu’en attendre aujourd’hui ? Que le régulateur fixe des règles du jeu équitables où la collectivité assumerait jusqu’au bout sa responsabilité sur les conséquences de la mise sur le marché d’un médicament à risque. La reconnaissance de l’existence du risque, une obligation de moyens pour le réduire à la hauteur de l’enjeu de Santé Publique qu’est l’iatrogénie médicamenteuse, l’obligation de recherche sur les effets indésirables des médicaments à risque et la prise en charge des conséquences et des indemnisations lors de la survenance de ce risque, sont les actes a minima qui peuvent être attendus d’un état responsable.

Nous, association de victimes d’accidents médicamenteux gravissimes, nous invitons dans le débat. Nous proposons de requestionner fondamentalement cette notion d’évaluation du « rapport bénéfices-risques » et de poser les principes et actions d’une REFONDATION DE LA GESTION DU RISQUE MEDICAMENTEUX.

AMALYSTE propose 7 grands principes et émet 10 propositions

Position d’AMALYSTE sur la gestion du risque médicamenteux

NB: La position d’AMALYSTE a par la suite été publiée par la revue Prescrire (lien vers l’article)